Un départ sous les cigales le matin, c’est un vrai bonheur, foi de Parisien. Evidemment, les gens du Sud, ceux qui ont
«l’assent » qui chante et le sourire dans les yeux, ils connaissent. Mais nous, les cigales, ça nous manque.
Depuis que Paris descend dans le Sud pendant l’été pour emmagasiner du soleil pour l’hiver, les cigales nous manquent. Ce tss tss tss qui n’en finit plus, dans les arbres surchargés de soleil et de ciel bleu, réveille en nous dès que nous l’entendons, un bien-être, un voyage intérieur vers des pays bleus. Et lorsque l’homme en bleu, justement, a surgi au bord de l’eau pour crier
« Bonne route » en détachant les syllabes et en agitant les bras - il était bien à 50 m de Nathalie -, j’ai pensé «
Ça y est. Nous y sommes. » Pas tout à fait, mais presque. Demain Avignon (Vaucluse), après-demain Arles (Bouches-du-Rhône), et dimanche Port-Saint-Louis-du-Rhône.
Plus que 3 jours de cette aventure extraordinaire qui nous a reliés vous et moi au-delà du bateau. Je serai je pense à Marseille pour l’arrivée de Nathalie, mais en piéton, plus en marin fluvial. Elle et moi sommes les deux à être restés sur ce Vision Le Boat depuis le départ sans jamais l’avoir quitté un soir. Elle va maintenant me battre sur le fil en prenant la mer.
C’est comme ça pour les gens du voyage. "Guadiana", un gros porte-containers, nous a dépassés ce matin, avec précaution et en réduisant la vitesse pour ne pas embarrasser Nathalie qui ramait devant nous. Nous nous sommes retrouvés dans l’écluse de Caderousse tout à l’heure, derrière "Guadiana", lorsqu’un homme est sorti sur le pont arrière pour griller une cigarette. Nous avons poursuivi la conversation commencée à la VHF à propos de Nathalie et de notre descente jusqu’à la Méditerranée.
- « Nous descendons jusqu’à Fos. On y sera demain. Et après, on remonte.
- Quel est votre trajet habituel ?
- En règle générale, on remonte jusqu’à Mâcon ou Chalon-sur-Saône.
- Vous n’arrêtez jamais ?
- Nous avons 12 jours de repos pour un mois de travail.
- Vous avez l’occasion de visiter un peu les villes sur le trajet ?
- Eh non ! on navigue jour et nuit. Nous sommes 2 équipages de 3 et on se relaie. »
J’ai hoché la tête. Drôle de vie. Enfin, drôle, ça n’est pas tout à fait le mot. Nous sommes tous des gens du voyage avec un port d’attache. Des nomades à domicile fixe. C’est la raison de cette solidarité entre gens de fleuve, de cette politesse, de cette camaraderie pudique et prévenante. C’est aussi pourquoi radio-canal ou radio-ponton fonctionne si bien. On se comprend, on s’apprécie, on se respecte.
Dommage que ça ne soit pas partout pareil.