Le premier a été arraché à la Seine mardi 23 octobre au soir, le cinquième et dernier l'a été jeudi 25 après-midi. En deux jours, les cinq ducs-d'albe du quai de Gaillon à Conflans-Sainte-Honorine ont disparu du paysage fluvial. S'ils n'étaient utilisés que par des bateaux-logements depuis les années 1980, leur disparition est néanmoins dure à avaler pour les bateliers professionnels, qui espéraient toujours pouvoir revenir s'accoster un jour à ces amarres qu'ils savaient solides.
Les cinq ducs-d'albe ont été enlevés dans le cadre du projet d'aménagement du quai de Gaillon, mené par le Syndicat mixte d'aménagement, de gestion et d'entretien des berges de la Seine et de l'Oise (S.M.S.O.), qui assure la maîtrise d'œuvre pour la commune de Conflans-Sainte-Honorine. Pour Jean Delaunay, conseiller municipal délégué à la batellerie : "
Ces ducs-d'albe n'étaient pas conformes aux exigences du plan de prévention du risque inondation (P.P.R.I.). Nous avions l'obligation de les enlever." Pour l'élu, l'opération est prévue depuis plusieurs années et quatre réunions publiques ont permis d'expliquer le projet de rénovation et de répondre aux questions.
Le son de cloche est tout différent chez les bateliers qui n'avaient jamais sérieusement envisagé que ces ducs-d'albe, posés en 1963 par l'ancienne station à carburant, puissent un jour disparaître. "
Ces ducs-d'albe étaient formés chacun de quatre pieux de 14 m de haut. On pouvait y amarrer deux bateaux bout à bout, et trois côte à côte, et des bateaux de fort tonnage. C'était du costaud. Des ouvrages comme ceux-là, on en rêve...", regrette Jacques Delhay, secrétaire national de La Glissoire, auteur de la lettre de la batellerie Cap à l'amont et patron de l'"Esmeralda".
Pour Pascal Malbrunot, administrateur de la Chambre nationale de la batellerie artisanale (C.N.B.A.), patron du "Jaguar" et "Conflanais", l'arrache-cœur est encore plus grand : "
Les bateaux de mon grand-père et de mon père accostaient là, avant le mien, depuis 1952, à proximité de la maison familiale. Tout ce que je peux dire aujourd'hui, c'est que cet arrachage mérite une minute de silence".
Dès mercredi soir, quelques bateliers s'étaient rassemblés sur le quai de Gaillon pour tenter d'empêcher l'enlèvement ou de sauver un ou deux ducs-d'albe. Le "Songe" de José Laval, le "Linquenda", Pascal Malbrunot et Jacques Delhay, qui est parti le dernier, jeudi, avec son "Esmeralda", n'ont rien pu faire. Les cinq ducs-d'albe ont été extraits du fleuve. Ils seront remplacés dans les semaines à venir par d'autres amarrages, adaptés cette fois, aux seuls bateaux-logements et conformes aux normes anti-crues.
L'enlèvement des ducs-d'albe intervient dans un contexte où les professionnels connaissent de plus en plus de difficultés à trouver des points d'amarrage, notamment à Conflans-Sainte-Honorine, une commune pourtant connue comme "
La cité de la batellerie". Amers, les professionnels se sentent une fois de plus les laissés pour compte d'aménagements qui ne les concernent pas. A la mairie, les propos se veulent rassurants. "
Je suis conscient de l'urgence de prévoir de nouveaux stationnements pour les bateaux de commerce, assure Jean Delaunay, et nous y travaillons avec Voies navigables de France."
Pour l'heure, l'arrachage des ducs-d'albe a laissé quelques creux au fond de la Seine et un bien triste vide dans le cœur des bateliers.